Nord-Kivu : le général Kakule Somo garde espoir malgré la guerre, le chaos et l’occupation

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« Un retour à la paix est encore possible », affirme le gouverneur militaire du Nord-Kivu, Évariste Kakule Somo. Dans un entretien accordé à Jeune Afrique, il revient sur les défis colossaux auxquels fait face cette province de l’Est de la RDC, plongée dans une guerre aux multiples visages.

Nord-Kivu, juin 2025. Les mots sont posés, la voix assurée, malgré la gravité du moment. Le général Évariste Kakule Somo, nommé gouverneur militaire du Nord-Kivu le 29 janvier dernier, s’est vu confier une mission presque impossible : administrer une province décapitée par la guerre, amputée de sa capitale Goma, et fracturée par une mosaïque de conflits locaux, régionaux et internationaux.

« Nous ne faisons pas la guerre pour la guerre. Compte tenu des souffrances de notre population, il faut être réaliste. Mais un retour à la paix est encore possible », déclare-t-il à Jeune Afrique, rencontré à Kolwezi lors de la conférence des gouverneurs.

Une province à reconstruire

Le décor est posé : depuis la perte de Goma, passée fin janvier aux mains du M23 et de ses alliés rwandais, le gouverneur s’est replié à Beni, à quelque 350 kilomètres plus au nord. C’est de là qu’il tente, tant bien que mal, de maintenir le peu qui reste de l’appareil administratif du Nord-Kivu. « Les partenaires qui nous regardent de loin pensent que la province n’existe plus depuis que l’aéroport de Goma est tombé. Mais nous sommes toujours là ! »

À Walikale, où il s’est rendu en mars, il décrit une ville sinistrée, peuplée de déplacés venus de Masisi ou de Goma, sans services de santé, sans sécurité. Le M23, dit-il, l’a considérée comme une zone militaire, avant d’en être repoussé. « J’aurais aimé qu’un accord de cessez-le-feu soit aussi trouvé là-bas », regrette-t-il.

Trois fronts, un ennemi principal

Interrogé sur les menaces auxquelles il fait face depuis Beni, le général les classe en trois catégories : les rebelles du M23 soutenus par Kigali, les terroristes ADF affiliés à l’État islamique, et enfin, les groupes armés locaux réfractaires au désarmement. Mais c’est le Rwanda qui cristallise les accusations les plus directes.

« Ils nous accusent de manipuler certains groupes comme les FDLR, mais c’est un prétexte. Ce sont eux, les Rwandais, qui contrôlent certains groupes congolais », affirme-t-il. Il dénonce une stratégie de guerre par procuration et d’instrumentalisation d’acteurs locaux.


Entre guerre régionale et diplomatie fragile

La guerre dans l’Est congolais n’est pas une simple insurrection : elle mobilise des puissances étrangères, des intérêts miniers, des alliances régionales fragiles. Kakule Somo reconnaît la complexité du conflit : « Ce n’est pas seulement notre guerre, c’est une guerre planétaire », dit-il.

Face à cette équation, le rôle de l’armée ougandaise – présente en RDC dans le cadre de l’opération conjointe Shujaa contre les ADF – fait débat. Là encore, le gouverneur se veut mesuré : « Je ne pense pas que les Ougandais tiennent des barrières. On ne peut pas avoir que des ennemis. » Même les déclarations controversées du général Muhoozi Kainerugaba, qui avait menacé d’« envahir Kisangani », sont relativisées : « Aujourd’hui, les choses semblent rentrer dans l’ordre », tranche-t-il.

Le poids du passé et le choc Kabila

L’un des épisodes les plus troublants de ces derniers mois reste le retour de l’ancien président Joseph Kabila… en territoire occupé. Une présence que Kakule Somo commente avec prudence, mais fermeté : « C’est normal que cela fasse jaser. Il est sénateur, ancien chef de l’État, et il est là-bas sans mandat. Si moi, je me trouvais dans la même zone, on me qualifierait de traître. »

Un pari sur l’avenir

Au-delà de la guerre, le général insiste sur les efforts humanitaires et logistiques : agrandissement de l’aérodrome de Beni-Mavivi, plaidoyer pour un soutien accru de Kinshasa. Le Nord-Kivu affiche un taux alarmant de 64 % de malnutrition infantile. « Les gens ne peuvent plus cultiver. Ils vivent dans des camps de fortune, dans des bulles sécuritaires improvisées », déplore-t-il.

Mais la diplomatie reprend ses droits. Un accord majeur, selon lui, serait en passe d’être signé sous l’égide des États-Unis. Il croit en une désescalade, voire un retrait des troupes rwandaises. « Nous sommes accompagnés par la communauté internationale. Je pense que les Rwandais vont se retirer de notre territoire et rentrer chez eux. »

« Nous sommes toujours là »

L’entretien se clôt sur une note d’espoir, presque de défi. À ceux qui imaginent Kisangani menacée, il répond : « Peut-être qu’ils en rêvent, mais ce ne serait pas une promenade de santé. Les gens de Kisangani peuvent dormir calmement. »

Dans ce Nord-Kivu martyrisé, le gouverneur militaire s’impose en vigie d’un territoire blessé, mais debout. « Nous sommes toujours là », répète-t-il. Comme une promesse.

Propos recueillis par Jeune Afrique. Interview publiée en juin 2025.

✍️ Hilter Mulimani 
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